J'ai vu une fleur sauvage
"J’ai vu une fleur sauvage ", cette phrase banale est devenue le titre d’un livre écrit par Hubert Reeves, comme pour en extraire et mettre en valeur la poésie. « Poésie » est d’ailleurs un grand mot que l’astronome se garde de prononcer dans cet ouvrage de botaniste amateur qui dresse l’inventaire de fleurs observées autour de son village de Malicorne en Bourgogne.
Observées, commentées, photographiées (par Patricia Aubertin) et mises dans un herbier qu’il partage avec tous via Internet. Ce sont là les fleurs les plus modestes et les plus familières de nos climats tempérés d’Europe occidentale, les plus négligées aussi, sous l’appellation collective de « mauvaises herbes » : pissenlits, cardamines, pâquerettes ou bardanes : « sauvages »…
On pourrait presque dire que n’importe qui pourrait en faire autant et que seuls le crédit scientifique obtenu dans un autre domaine, la notoriété et la figure convenue du sage tel qu’on l’imagine, entre Socrate et Lao-Tseu, lui valent de pouvoir publier cet ouvrage.
Mais justement, Hubert Reeves est astronome et ce n’est pas insignifiant. Son regard, à partir du simple « observatoire personnel » que sont nos yeux, a la force symbolique du ciel qui se penche sur la terre et sur le vivant. Avec enchantement. Pas de grands mots donc mais une grande précision sensorielle, visuelle bien sûr, mais aussi tactile et olfactive. Derrière la simplicité, un étonnement qui donne envie de science et d’abord, envie de nommer.
« J’ai vu une fleur sauvage, quand j’ai su son nom, je l’ai trouvée plus belle ».
Les fleurs sont classées alphabétiquement mais le livre s’ouvre au hasard. Truffé aussi d’anecdotes, d’associations et de légendes, avec ici et là, des observations scientifiques (l’explication astronomique des saisons, la présence de pollen au plus haut de la stratosphère …), l’expérience est avant tout personnelle ; avec auto-dérision, Hubert Reeves nous fait parfois part de ses erreurs, de sa naïveté ou, même, de son ignorance. Il semble nous dire qu’effectivement, n’importe qui peut en faire autant. Mais que l’important n’est pas là (après tout, « tout se trouve sur internet » ). Il nous invite surtout à le suivre et à développer notre propre observation afin d’agrandir l’univers : le nôtre. Loin de l’acception utilitariste du mot « biodiversité », Reeves suggère avant tout que connaître une fleur, et surtout la reconnaître au fil des saisons de notre vie, dans ses différents stades de développement, est d’abord une sorte de connivence avec le monde, une source de plaisir et d’humanité.
Pas étonnant donc qu’il soit le président honoraire de l’association Humanité et Biodiversité à la base du projet « Oasis Nature ». Celle-ci encourage chacun à faire de son domaine (une terrasse ou un champ) un lieu d’accueil pour la biodiversité : créez une mare, plantez une haie champêtre et bien sûr … une prairie fleurie et vous pourrez rejoindre ce réseau qui s’étend au Québec, à la France et à la Belgique!
Notes:
1. Hubert Reeves, J’ai vu une fleur sauvage. L’herbier de Malicorne, éd. Seuil, 2017.
2. Haiku japonais, en épigraphe du livre